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Support d'UDP dans FreeRDP partie 2

Intéressons nous un peu plus au protocole RDPUDP qui va transporter les données RDP au dessus d'UDP. Pour commencer, on se souviendra que seules les données de canaux virtuels (virtual channels) peuvent être transportées au dessus d'UDP, donc ça ne concerne pas les ordres graphiques anciens (donc si vous comptiez sur UDP pour accélérer des bitmapUpdates c'est perdu), par contre ça fonctionnera avec un rendu egfx. De même la migration de TCP à UDP se fait au travers du canal dynamique, donc le drdynvc est obligatoire. Ce mécanisme permet aussi aux canaux statiques d'être migrés vers UDP en mettant le flag TRANSPORTTYPE_UDP_PREFERRED dans le paquet gcc de multi-transport channel data.


Aperçu du transport RDPUDP

Documentation et spécifications

Le transport RDPUDP est négocié au dessus d'UDP et le format du transport est défini dans MS-RDPEUDP, c'est la première version; MS-RDPEUDP2 est la version "améliorée". Un client ou un serveur est obligé de supporter un minimum des 2 versions car on passe vers du RDPEUDP2 après avoir fait un bout de négociation en RDPEUDP. Le RDPEUDP est la version historique, il permet d'avoir un transport avec perte et un transport fiable. Dans la version non fiable, la couche au dessus pour le chiffrement est du DTLS, quand le transport est fiable c'est du TLS "normal".

RDPEUDP2 ne supporte qu'un transport fiable (et donc la couche supérieure est du TLS), la version 1 et le transport non fiable sont voués à disparaitre. En pratique de toute façon avec un payload à 1232 et des entêtes à longueur variable c'est quasi impossible pour une application de gérer un transport non fiable sauf à avoir un payload très petit (comme c'est non fiable ça doit tenir dans 1232 moins la taille max des entêtes au cas où on perdrait un paquet).

Déroulement de la négociation et établissement du transport

Dans l'enchainement de la négociation RDP, on est à l'étape où on vient de finir la négociation de la licence, et le serveur envoie au client un Initiate Multitransport Request PDU. Le client se "connecte" alors sur la même adresse/port mais en UDP:

J'utilise l'expression "se connecte", mais il ne va s'agir que d'envoyer des paquets vu que l'UDP n'est pas un protocole connecté. Le client va envoyer un paquet SYN qui va contenir entre autre informations, la version maximum du protocole supportée, et le serveur va répondre avec un SYN/ACK (SYN et SYN/ACK sont à comprendre comme des paquets RDPUDP pas comme leurs équivalents en TCP) et la version choisie.

Si le serveur répond avec la version RDPEUDP2, alors on bascule sur une interprétation des paquets suivant ce protocole. On notera que si le serveur met un peu de temps à répondre, on peut se retrouver avec un serveur qui a déjà répondu (et donc considère qu'il parle le RDPEUDP2), tandis que le client renvoie le paquet SYN en pensant qu'il s'est perdu en route (et donc à la réception, le serveur mettra ce paquet à la poubelle car il n'est pas un paquet RDPEUDP2 valide). J'ai expérimenté ce cas en débugguant.

Si vous ne l'aviez pas déjà deviné, le transport UDP est très agressif en terme d'envoie de paquets, et de temps de réponses, on est littéralement submergé par les paquets quand on débuggue. Surtout que comme l'exécution est plus lente en mode pas à pas, on se reçoit des salves de renvois de paquets. Avant de limiter mon implémentation, j'ai eu des des interventions du Out-Of-Memory killer avec l'accumulation des paquets UDP dans l'application qui finissait par dévorer toute la mémoire de la machine.

Protocole RDPEUDP2

Pour l'instant, je n'ai fait que l'implémentation RDPUDP2 étant embêté par le FEC dans RDPEUDP. De plus, on voit clairement que la version 2 du protocole a tiré les leçons de la première mouture: il est moins compliqué, mais compense en étant plus agressif dans le renvoi des paquets.

J'ai quand même noté quelques écarts par rapport à la spécification et j'espère qu'ils seront corrigés dans les versions suivantes (déjà rapportées à Microsoft):

  • le pire est sans doute que la specification parle de 1232 octets comme payload maximum un peu partout dans le document. Et dans les premiers paquets de données que je recevais j'en avait un qui faisait 1239, contenant des bouts du handshake SSL. J'ai mis un sacré bout de temps à découvrir que mon handshake ne se terminait pas à cause de ces 7 octets perdus en cours de route (fidèle à la specification, je faisais un recv(1232), et donc la fin du paquet n'arrivait jamais jusqu'à mon code);
  • la spécification contenait des erreurs pour les paquets ACKVEC, reporté à Microsoft et corrigé depuis;

Décodeur RDPUDP wireshark

Durant le développement de ce transport dans FreeRDP est apparu rapidement qu'il fallait avoir un moyen de décoder les paquets échangés. J'ai commencé par implémenter dans FreeRDP un programme décodeur de paquets qui affichaient l'interprétation du paquet à partir du dump hexa de wireshark. Ensuite j'ai fais dumper à FreeRDP les paquets qui étaient reçus, mais étant donné le volume (RDPUDP échange vraiment beaucoup de paquets), c'est rapidement devenu ingérable de chercher dans la console. J'ai donc eu l'idée d'écrire un dissecteur pour wireshark.

Dissecteur LUA

Quand on veut étendre Wireshark, on peut le faire de plusieurs manières: écrire un plugin natif en C qui fera partie du code de wireshark, ou bien écrire cette extension en LUA. J'ai choisi cette deuxième option parce que j'avais besoin de rapidement décoder les paquets, et puis aussi parce qu'au début, je n'avais prévu que de faire un prototype et de n'extraire que les informations qui m'intéressaient. Mais à force de rajouter des fonctionnalités, j'ai fini avec un plugin qui décode tout, est même capable de traquer l'état des connexions en RDPEUDP et RDPEUDP2, et fait même de l'aggrégation de PDU pour réassembler les records SSL.

Le code du plugin a été poussé dans cette pull request. Avec wireshark, il est de bon ton de pouvoir capturer en utilisateur normal, non root, pour ceci j'ai suivi les instructions du wiki. On copie ensuite le plugin dans $HOME/.local/lib/wireshark/plugins/, et normalement on doit voir les échanges en UDP sur le port 3389 décodés.

Dissecteur natif

Le dissecteur en LUA fonctionnait assez bien, mais j'ai constaté des problèmes quand il s'agissait de décoder la couche SSL par dessus le RDPUDP, je pensais que ces problèmes venaient de limitations dans le binding LUA. J'ai donc décidé de porter mon plugin LUA dans un dissecteur natif (en C) dans wireshark.

Une fois ceci fait, mon dissecteur natif avait les mêmes problèmes que le plugin en LUA. Mais entre temps j'ai fait un bon coup de ménage et d'améliorations sur le décodage du RDP dans wireshark: gestion de différents types de channels (drdynvc, egfx), tracking et reassemblage des paquets pour les channels, un dissecteur pour le protocole de multi-transport. Et finalement, avec le commit 8a1649c5a5ff7c8bdf38cbf54ed5138c1773bfd7 j'ai trouvé le problème entre le SSL et le dissecteur RDPUDP.

Après bien des raffinements, notament le support de la désegmentation pour le RDPUDP, le décodage du RDP dans wireshark sur le TCP et l'UDP sont tout à fait opérationel sur la branche master.

Bonus SecretsFile

Pour pouvoir décoder les traffics TLS, j'avais pour habitude de patcher mes serveurs windows pour les forcer à utiliser des combinaisons de chiffrement sans PFS (bidouille dans la base de registre). J'avais aussi un FreeRDP à la crypto affaiblie pour que simplement avec la clé privée du serveur on puisse voir le traffic en clair dans wireshark. C'était besogneux et une opération à renouveler à chaque fois, en plus la configuration dans wireshark était toujours très pénible.

Et puis au gré d'une conversation on m'a glissé à l'oreille qu'openSSL pouvait dumper ses secrets via une API, et que si on consignait tout ça dans un secrets_file, wireshark était capable de l'exploiter même pour décoder du TLS1.3 avec de la PFS de partout. J'ai donc ajouté cette option /tls:secrets-file:<path to file> à FreeRDP qui permet de stocker les secrets de ses négociations SSL pour un décodage futur (ou en live) des sessions SSL (sur TCP ou UDP).

En pratique on configure wireshark pour aller chercher les secrets dans /tmp/secrets_file.txt et on lance FreeRDP avec:

# xfreerdp /tls:secrets-file:/tmp/secrets_file.txt /v:myserver /u:...

Et tout apparait en clair dans wireshark, ça fait 10 ans que je voudrais avoir ça !

Conclusion

Cet article résume une partie des développements depuis la partie 1 (il y a quasiment 2 ans). Il y a encore beaucoup à dire sur la suite avec les messages sur le channel dynamique, le multi-transport, la signalisation de la bande passante, etc.

Stay tuned !